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habitudes des Daliot. Ils n’en ont tiré aucun profit, mais ils n’en ont point souffert. L’orage les a épouvantés d’abord. Leur émotion peu à peu s’est calmée, parce qu’ils n’ont personne au front et que, Dieu merci, le front est loin, très loin de leur chère Savoie, vrai pays de cocagne où, en 1917, on peut encore vivre de la même vie qu’avant 1914, sans trop se ressentir de la raréfaction ni de la cherté croissante de toutes choses. Bref, ces heureuses gens sont si bien à l’abri de la tourmente que Mme Daliot — qui fut gentiment dotée en son temps : de quoi doubler les revenus de son mari, appointé comme archiviste municipal — n’a guère que le souci d’établir ses filles. Encore n’est-ce pas là un souci particulièrement pressant. Denise n’a pas vingt ans ; Juliette n’en aura dix-neuf qu’à l’automne ; ces chères petites peuvent donc attendre, Juliette surtout. Car, pour Denise, à vrai dire, peut-être ne la mariera-t-on pas facilement.

Non qu’elle soit disgraciée de quelque manière, Denise. Loin de là, et elle a de qui tenir, gracieuse et svelte comme un lys, jolie comme on l’est en Savoie, comme l’était et l’est encore sa mère. Intelligente avec cela, très observatrice et très fine, capable de se faire une opinion et de s’y tenir en son for, inexpugnable citadelle de cette faible. Mais, par où elle pécherait peut-être, c’est par un excès de douceur, de bonté et de modestie. Elle aimerait mieux souffrir mille morts que de peiner autrui et elle s’enfoncerait sous terre plutôt que de chercher à se faire valoir. Et c’est bien par là aussi qu’elle diffère tant de Liette — que l’une est à l’autre ce que le jour est à la nuit.

Denise est l’effacement même ! Depuis qu’elle a terminé ses études, qui ne l’ont pas conduite très loin, arrêtées avant le baccalauréat, son adolescence s’écoule, calme et discrète, entre de menus travaux d’intérieur et les furtifs, presque craintifs