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chrestomathie française

La vie en cris ou en silence,
La vie en lutte ou en accord,
Avec la vie, avec la mort,
La vie âpre, la vie intense.
Elle est là-bas, sous des pôles de cristal blanc,
Où l’homme innove un chemin lent ;
Elle est, ici, dans la ferveur ou dans la haine
De l’ascendante et rouge ardeur humaine ;
Elle est, parmi les flots des mers et leur terreur,
Sur des plages, dont nul n’a exploré l’horreur ;
Elle est dans les forêts, aux floraisons lyriques,
Qui décorent les monts et les fleuves d’Afrique ;
Elle est où chaque effort grandit
Onde à onde, vers l’infini,
Où le génie extermine les gloses[1],
Criant les faits, montrant les causes
Et préparant l’élan des géantes métamorphoses.

Lassé des mots, lassé des livres,
Je cherche en ma fierté,
L’acte qui sauve et qui délivre.

Et je le veux puissant et entêté,
Lucide et pur, comme un beau bloc de glace ;
Sans crainte et sans fallace[2],
Digne de ceux
Qui n’arborent l’orgueil silencieux,
Loin du monde, que pour eux-mêmes.

Et je le veux trempé dans un baptême
De nette et large humanité,
Montrant à tous sa totale sincérité
Et reculant, en un geste suprême,
Les frontières de la bonté.

Ô vivre et vivre et se sentir meilleur
À mesure que bout plus fervemment le cœur ;
Vivre plus clair, dès qu’on marche en conquête ;
Vivre plus haut encor, dès que le sort s’entête
À dessécher la force et l’audace des bras ;
Rêver, les yeux hardis, à tout ce qu’on fera

  1. Explication de mots vieillis ou obscurs.
  2. Tendance à la tromperie (du latin fallacia, tromperie, fourberie).