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mais ny l’un ny l’autre n’en furent faſchez : car le mien dans la croyance qu’elle devoit eſtre fort riche, eſtoit bien aiſe que je priſſe un deſſein qui pouvoit reparer dans ſa Maiſon les profuſions de ſa jeuneſſe : eſtant certain que ſa magnificence & ſa liberalité, luy ont oſté beaucoup de bien ; & Diophante auſſi de ſon coſté, craignant que ſa fille ne demeuraſt pauvre, n’eſtoit pas marri qu’un homme comme moy en fuſt amoureux. Il agiſſoit pourtant d’une maniere ſi adroite, qu’il ne paroiſſoit pas qu’il s’en aperçeuſt : & il connoiſſoit ſi parfaitement la vertu de ſa fille, qu’il ne craignoit pas qu’elle s’engageaſt trop, en ſouffrant qu’elle fuſt aimée de gens. Mais entre tous ceux qui la ſervoient, il y en avoit un tres riche, & beaucoup plus riche que moy ; quoy qu’il ne fuſt pas d’une Race ſi conſiderable, qui eſtoit tres aſſidu aupres d’elle. Cét homme qui s’appelloit Androclide, avoit une Sœur qui la voyoit auſſi tres ſouvent : & qui eſtant logée fort pres de Crantor, en eſtoit quelqueſfois viſitée. De ſorte que je sçeus qu’Androclide avoit un fort grand advantage : car ſa Sœur n’agiſſoit pas ſeulement, à ce que l’on m’aſſuroit aupres de Teleſile, mais encore aupres de ſon Oncle : ce qui eſtoit une choſe bien conſiderable pour luy, qui ne regardoit pas moins la richeſſe de Crantor, que la beauté de Teleſile. Pour moy qui n’eſtois touché que de ſes propres richeſſes, & qui preferois le plaiſir de la voir, à tous les threſors du monde : je taſchois ſeulement à toucher ſon cœur, en luy faiſant sçavoir quel eſtoit le ſuplice du mien. Car enfin j’en vins en peu de jours aux termes de ſouffrir tout ce qu’un homme qui aime peut ſouffrir. Dés que je ne la voyois plus, bien loing