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pas : fit pourtant un ſi grand effet en moy, que j’en tiray un heureux preſage. En ſuitte de cela je luy dis pour juſtification, que j’avois eſté à Ancire : que je n’en eſtois revenu que le jour qu’elle partir de Delphes : & que je m’eſtois donné l’honneur de la ſalüer un peu au delà des portes de la Ville. Il me ſembla lors qu’elle s’en ſouvenoit, & qu’elle faiſoit ſeulement ſemblant de n’y avoir pas pris garde : à cauſe qu’elle ne le pouvoit faire ſans teſmoigner en meſme temps s’eſtre aperçeuë de l’attention avec laquelle je l’avois regardée. Et en effet elle a eu depuis la bonté de m’avoüer que la choſe eſtoit ainſi. Mais comme cét innocent menſonge la fit rougir, j’en tiray encore un nouveau ſujet d’eſperer : & je partis d’apres d’elle le plus amoureux de tous les hommes, & le plus determiné de m’attacher à ſon ſervice. Je ne m’amuſay point comme font beaucoup d’autres, à vouloir combattre ma paſſion : au contraire je cherchay dans mon eſprit tout ce qui la pouvoit flater. Je m’imaginay que peut-eſtre eſtois-je ce bienheureux, pour lequel ſon ame ſeroit ſensible : Car, diſois-je, puis que preſques tout ce qu’il y a d’hommes à Delphes l’ont aimée inutilement : je dois eſtre plus en ſeureté que ſi elle n’avoit pas tant d’Amants, puis que c’eſt une marque infaillible, que ſon cœur n’a pas trouvé encore ce qu’il faut pour le toucher. Si je la regardois comme devant eſtre riche, je croyois que cela ſerviroit a mon deſſein, parce que mon Pere ne s’y oppoſeroit pas : & ſi je la conſiderois comme devant eſtre pauvre, l’en eſtois encore bien aiſe : parce que je jugeois que le ſien ne me la refuſeroit point. Enfin je trouvois facilité à toutes choſes : & je