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riant, que les plus anciens de ſes Amants ne le ſont pas ſi bien que vous : car elle s’en va à un perit voyage, qui vient d’eſtre reſolu d’improviſte, chez une de mes parentes avec qui j’eſtois, & que perſonne ne sçait encore. Tant y a, luy dis-je je le sçay pour l’avoir veuë partir : Mais quoy que je ne penſe pas encore eſtre amoureux d’elle, (pourſuivis-je en riant à mon tour, quoy que je parlaſſe ſerieusement) je ne laiſſe pas d’eſtre bien aiſe d’aprendre que ſon voyage ne ſera pas long. Il ne ſera que de quatre jours, me dit il ; & durant ce temps là il faut que je vous faſſe voir tout ce qu’il y de beau à Delphes : afin s’il eſt poſſible, de vous faire trouver du contrepoiſon dans les yeux de quelqu’une de nos Dames, pour taſcher de vous pre-cautionner contre ceux de Teleſile. Je ris d’abord de la plaiſante invention de Meleſandre : & en effet je conſentis à ce qu’il voulut : & il me mena pendant les quatre jours de l’abſence de Teleſile, chez tout ce qu’il y avoit de belles Perſonnes à Delphes Mais, à vous dire la verité, ſon deſſein ne reüſſit pas : & il ne ſervit qu’à me faire sçavoir un peu pluſtost que je n’euſſe fait, qu’il n’y avoit rien à Delphes qui ne fuſt mille degrez au deſſous de Teleſile.

Cependant cette Belle revint de la Campagne : & ſon retour ayant donné un nouveau ſujet de la viſiter à tous ſes Amis, Meleſandre y fut, & m’y mena malgré qu’il en euſt. Je dis malgré qu’il en euſt, eſtant certain qu’il s’en fit preſſer pluſieurs fois ; me diſant touſjours qu’il ne vouloit rien contribuer à la perte de ma liberté. Mais enfin il ceda à mes prieres : je fus preſenté par luy à la Mere de Teleſile, qui me reçeut fort civilement : & je fus preſenté à Teleſile elle meſme, en qui je trouvay mille & mille charmes que je