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contre le Ciel. Qu’ay-je fait juſtes Dieux, diſoit il, pour avoir merité cette infortune ? N’ay je pas conſervé vos Temples & vos Autels, pendant les guerres que j’ay faites ? Ne vous ay-je pas offert des vœux & des Sacrifices ? Ay-je eſté injuſte, cruel, & ſanguinaire ? j’ay aimé Mandane, il eſt vray : mais je l’ay aimée avec une pureté ſans égale. Je l’ay aimée paſſionnément, je l’avouë : mais l’ayant faite ſi accomplie, & me l’ayant fait connoiſtre, ſuis-je criminel de l’avoir aimée de cette ſorte, & la peut on aimer autrement ? Cependant vous me puniſſez du plus rigoureux ſuplice, dont le plus coupable de tous les hommes pourroit eſtre puny : je voudrois bien n’en murmurer pas, mais je ne puis m’en empeſcher. La fureur s’empare de mon eſprit ; la jalouſie que je ne connoiſſois preſques point, trouble ma raiſon ; & je ne puis ſouffrir enfin, que mon plus redoutable Rival, & mon plus mortel ennemy, ſoit le Liberateur de Mandane. Apres cela, impatient qu’il eſtoit, de voir que le jour ne paroiſſoit pas encore : il ſe leva, & remontant à cheval, malgré tout ce qu’on luy pût dire, il voulut que l’on marchaſt : mais pour en monſtrer l’exemple aux autres, il s’enfonça le premier dans l’eſpoisseur des tenebres : portant dans l’eſprit un chagrin plus noir que ne l’eſtoit l’obſcurité de cette ſombre nuit qui regnoit alors : & qui eſtoit cauſe que l’on ne pouvoit diſcerner aucuns objets, dans cette grande Foreſt.