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criminel, d’avoir de la douleur en un jour où ma Princeſſe a de la joye ; mais je ſerois inſensé, reprenoit cét amoureux Prince un moment apres, ſi la gloire de mon Rival m’eſtoit indifferente. Peut-eſtre, adjouſtoit il encore, que je m’abuſe : & que l’adorable Mandane eſtant toute juſte & toute equitable, ſe ſouviendra que ſi je ne la delivray pas en revenant des Maſſagettes, lors que je ſauvay la vie à ſon Raviſſeur ; ce fut parce que je ne la connoiſſois point. Que ſi depuis je ne l’ay pas encore delivrée en prenant Babilone : c’eſt parce que le Roy d’Aſſirie l’enleva une ſeconde fois : & que ſi je ne le fis pas non plus à Sinope, ce fut auſſi parce que le Prince Mazare la trompa pour ſon malheur & pour le mien. Ainſi conſiderant que le Roy d’Aſſirie a eſté ſon Raviſſeur des années entieres, pendant leſquelles je n’ay jamais ſongé qu’à la delivrer : il pourra eſtre que cette derniere avanture ne fera pas un ſi grand effet ſur ſon cœur. Non non, adjouſtoit il à l’inſtant, ne nous flattons point : les ſervices paſſez ſont bien peu de choſe, en comparaiſon des ſervices que l’on reçoit preſentement : & mille bonnes intentions inutiles ne ſont rien, à l’égal d’un bon office effectif, quoy qu’il n’aye pas couſté beaucoup de peine à celuy qui l’a rendu. Ainſi malheureux que je ſuis, je dois craindre aveques raiſon, que le Roy d’Aſſirie n’ait plus gagné aujoud’huy dans le cœur de Mandane, que Cyrus n’a fait en toute ſa vie. Apres, quand il venoit à conſiderer, qu’en tirant au ſort pour sçavoir de quel coſté de la Riviere il iroit, il avoit auſſi toſt pû aller du coſté qu’il eſtoit alors que de l’autre, il en eſtoit deſesperé : & toute ſa ſagesse, & toute ſa pieté, ne pouvoient l’empeſcher de murmurer