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abandonné le fil de l’eau afin d’aller par un chemin plus court, ſes Guides s’égarerent dans une foreſt de Cyprés vers le milieu de la nuit qui eſtoit fort obſcure : de ſorte que craignant de s’eſloigner de Mandane au lieu de s’en aprocher, il ſe reſolut d’attendre en ce lieu là, la premiere pointe du jour : auſſi bien ſes chevaux n’en pouvoient plus, ayant marché ſi longtemps ſans repaiſtre. Il fit donc faire alte à ſes gens ; & deſcendant de cheval il s’aſſit au pied d’un arbre, feignant de vouloir repoſer : mais en effet c’eſtoit pour ſe perſecuter luy meſme, par les cruelles agitations que ſon eſprit luy donnoit. Il y avoit des inſtants, où la joye en eſtoit pourtant la Maiſtresse abſoluë : car diſoit il en ſon cœur, Mandane eſt delivrée : elle eſt en lieu où je la verray bien toſt : & ſon Liberateur, pourſuivoit il, ne joüira pas longtemps de cette glorieuſe qualité, ſi mon courage ne trahit mon amour, & ne m’abandonne en cette derniere occaſion. Mais, ô Dieux, reprenoit il, pourquoy faut il que mon Rival ait delivré ma Princeſſe : & pourquoy faut il que vous me mettiez dans la neceſſité de haïr ſon Liberateur, & de m’affliger de la liberté de Mandane, que je deſirois ſi ardemment ? Cependant je ne sçaurois gouſter la joye de ſa delivrance toute pure : car enfin ce redoutable Rival luy a ſans doute deſja parlé de ſa paſſion : elle l’a remercié de ce qu’il a fait pour elle : & peut-eſtre que ce dernier office qu’il luy a rendu (qui ne luy a pourtant aparemment pas couſté une goute de ſang) ſera plus puiſſant dans ſon cœur, que tant de Combats que j’ay faits ; que tant de Batailles que j’ay données & gagnées pour elle ; & que tant de bleſſures que j’ay reçeuës. Ha divine Princeſſe, s’écrioit il, ſoyez un peu plus equitable, &