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quitter ce que l’on aime ſans beaucoup de douleur.

Mais, Seigneur, pour n’abuſer pas de voſtre patience, je vous diray que nous arrivaſmes à Leſbos & à Mytilene, où la Feſte fut un peu troublée par la nouvelle de l’accident advenu à la belle Alcionide, qui avoit eſté bleſſée, parce qu’ayant diſcerné la voix du Prince ſon Mary dans le combat, elle n’avoit pû retenir ſon zele, & avoit paru ſur le Tillac où cét accident luy arriva. Neantmoins comme elle eſtoit alors abſolument hors de danger, la magnificence de ſon Entrée, ne fut differée que de quelques jours. Le ſage Prince de Mytilene, Pere de Tiſandre, reçeut ſa Belle fille aveque joye : mais pour moy, lors que je la vy ſortir du Vaiſſeau où j’eſtois, je ſentis ce qu’on ne sçauroit exprimer. Il arriva meſme une choſe que j’oubliois de vous dire, qui redoubla de beaucoup ma douleur : qui fut que Tiſandre pour donner ordre à tout, & pour recevoir Alcionide au Port aveque ceremonie ; paſſa de ſon Navire dans un des miens, qui eſtoit admirablement bon Voilier, afin d’arriver à Leſbos une heure pluſtost que nous : me diſant en m’embraſſant, qu’il me laiſſoit la garde & la conduitte de ſon Threſor. Dés qu’il fut party, il me prit une ſi forte envie de pouvoir encore une fois entretenir Alcionide en particulier, que ſans luy en envoyer demander la permiſſion j’entray dans ſa Chambre : me ſemblât que puis que j’avois entendu de ſa propre bouche qu’elle ne me haïſſoit pas, quoy qu’elle me vouluſt oublier ; je pouvois avoir cette hardieſſe. Je la trouvay aſſise ſur ſon lict, magnifiquement parée, quoy qu’elle fuſt en deſhabiller, & qu’elle euſt le bras en Eſcharpe : Je vous demande pardon, luy dis-je en l’abordant, de la liberté que je prens : mais, Madame, je ſuis ſi