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n’en fuſt pas infortuné. Cependant, dit elle, s’ils sçavoient tous deux le ſecret de mon cœur, Tiſandre en ſeroit ſans doute moins ſatisfait, & Thraſibule en ſeroit plus miſerable. Car enfin, adjouſta t’elle, vous sçavez bien, ma chere Fille, que je ne m’oppoſay au mariage de Tiſandre avec toute la fermeté que j’eus en cette occaſion, que parce que j’avois eſperé que Thraſibule reviendroit à Gnide en homme de la qua lité dont il ſe diſoit eſtre : & que je pourrois alors ſuivre innocemment cette puiſſance inclination qui me portoit à ne le haïr pas. Touteſfois il a falu la combattre, & il la faut vaincre (dit elle en ſoupirant ſi haut que je l’entendis) c’eſt pourquoy ne manquez pas de faire exactement ce que je vous ay dit ; afin que je conſerve, ſi je le puis, mon cœur ſi entier au Prince Tiſandre, que je ne me ſouvienne pas meſme de Thraſibule, quand il ne ſera plus aveques nous. Je vous laiſſe à juger, Seigneur, quelle joye & quelle douleur je ſentis pendant le diſcours d’Alcionide : la douleur l’emporta pour tant ſur la joye : & je fus ſi touché de la cruelle reſolution qu’elle prenoit de m’oublier, que je fis du bruit malgré moy : ſi bien que comme je touchois preſques la ruelle de ſon lict, elle m’entendit ſans doute : car elle ſe teût, & fut aſſurément bien marrie d’avoir parlé ſi haut : quoy qu’elle ne s’imaginaſt pas que je fuſſe en ce lieu là. Je penſe meſme que j’euſſe eu beaucoup de peine à m’empeſcher de luy dire quelque choſe à travers ces planches qui nous ſeparoient, ſi je n’euſſe oüy qu’il entroit quelqu’un dans ſa Chambre : de ſorte que deſesperé de sçavoir que te n’eſtois pas haï, & que pourtant je ſerois touſjours malheureux : je ſouffris plus que je n’avois encore ſouffert. Ce pendant Tiſandre