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à Mytilene. Car enfin, luy dit elle, ſi le Prince Thraſibule ne m’aime pas, il ſe paſſera aiſément de ma veuë : & s’il m’aime, il y auroit de l’inhumanité à entretenir ſa paſſion : ainſi Seigneur je vous conjure, de n’en deſirer pas davantage de moy. Comme il fut ſorty, j’entendis encore qu’Alcionide apellant une de ſes filles qu’elle aimoit cherement, & ſe faiſant donner ſa Caſſette, l’ouvrit, & en tira pluſieurs Tablettes : car je trouvay une jointure entr’ouverte entre les Planches peintes & dorées de cette Chambre, par où je vy ce que je dis. Apres avoir cherché quelque temps parmy toutes ces diverſes Tablettes, elle en tira celles où eſtoit la Lettre que je luy avois eſcrite, que je reconnus fort bien : & luy commanda de les rompre & de les jetter dans la Mer ſans qu’on s’en aperçeuſt, quand la nuit ſeroit venuë. Et pourquoy, Madame (luy dit cette Fille qui vivoit avec beaucoup de liberté avec elle) eſt il plus criminel de garder cette Lettre aujourd’huy que hier ? C’eſt parce, repliqua t’elle, qu’il faut abſolument bannir de mon cœur, le ſouvenir de la paſſion d’un Prince, dont j’avois penſé pouvoir conſerver la memoire ſans crime ; dans la croyance où j’eſtois, que je ne pourrois plus jamais le voir. Mais preſentement qu’il eſt aupres de moy, je ne le dois pas faire : & il ne m’eſt plus permis de le regarder comme un Amant d’Alcionide, mais ſeulement comme un Amy de Tiſandre. Que la Fortune ? adjouſta t’elle, fait de bizarres avantures ! car enfin pourquoy a t’elle fait que Thraſibule ſoit venu à Gnide, ſeulement pour eſtre malheureux, & pour me donner de l’inquietude ? Ce n’eſt pas que je ne m’eſtime heureuſe, d’avoir eſpousé le Prince Tiſandre : mais j’avouë que je voudrois bien que le Prince Thraſibule