Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/624

Cette page n’a pas encore été corrigée

luy dis-je, pourquoy voulez vous sçavoir de moy ce que vous sçavez deſja ? C’eſt parce, me repliqua t’il, que je ne sçay pas encore avec une certitude infaillible, ſi je ſuis aſſez malheureux pour eſtre la cauſe de cette profonde melancolie que je voy dans voſtre eſprit. Parlez donc mon cher Thrabule : la conformité de voſtre humeur à la mienne n’a t’elle point fait que nous ayons aimé une meſme Perſonne ; & ne ſuis-je point aſſez malheureux, pour vous avoir oſté Alcionide ! Je confeſſe que quelque reſolution que j’euſſe priſe, de n’advoüer jamais la cauſe de ma paſſion à Tiſandre, il me fut impoſſible de la luy pouvoir déguiſer. Je fus ſi eſmeu du diſcours de ce Prince, & mes yeux en furent ſi troublez : que mon viſage deſcouvrit de telle ſorte les ſentimens de mon cœur ; que n’en pouvant plus douter, il s’écria, avec une generoſité extréme, & une douleur tres ſensible : Quoy mon cher Thraſibule, ma felicité fait voſtre infortune ! & parce que j’ay aimé ce que vous aimiez, & que vous aimez encore ce que l’aime, nous ſerons peut-eſtre tous deux malheureux le reſte de noſtre vie. Il ne ſeroit pas juſte (luy dis-je en ſoupirant, & ayant le cœur attendry du diſcours obligeant qu’il venoit de faire) c’eſt pourquoy ne me de mandez rien davantage. Croyez, ſi vous pouvez, que l’ambition fait tout le ſuplice de mon ame : imaginez vous pour eſtre heureux, que je ſuis encore cet inſensible Thraſibule, qui condamnoit l’amour que vous aviez pour la belle Sapho : & joüiſſez enfin en repos, de la felicité que vous cauſe la poſſession de la devine Alcionide. J’advoüe (pourſuivis-je, emporté par l’excés de ma douleur) que quelque amitié que je vous aye promiſe, je ne puis plus prendre de part à voſtre ſatisfaction : &