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il faloit la laiſſer en repos, juſques à ce qu’elle n’euſt plus de fiévre. Tiſandre voulut pourtant la voir un moment, quoy que pour l’en empeſcher je luy diſſe que plus les perſonnes eſtoient cheres, moins il les faloit voir en cét eſtat là : il y entra donc malgré moy, & ne m’y voulut point laiſſer entrer. Bien eſt il vray qu’il n’y tarda pas, & qu’il revint un moment apres : mais avec tant de marques de joye dans les yeux : que j’eus beau coup de confuſion dans mon cœur de ne la pouvoir tout à fait partager aveques luy. Graces aux Diex, me dit il, je l’ay trouvée en aſſez bon eſtat : & ſon viſage eſt tellement remis depuis hier, que vous ne la reconnoiſtrez pas quand vous la verrez tant il luy eſt viſiblement amendé. Je ne pouvois pas que je n’euſſe de la joye, de sçavoir qu’Alcionide eſtoit mieux : Mais je ne pouvois pas non plus que je n’euſſe de la douleur) quand je penſois qu’elle ne reſſuscitoit que pour Tiſandre, & qu’elle ſeroit toujours morte pour Thraſibule. Vous eſtes ſi fort accouſtumé à la melancolie, me dit Tiſandre, que la joye, à mon advis, ne fait gueres d’impreſſion, en voſtre cœur : Vous avez raiſon, luy dis-je, ce n’eſt pas que l’amendement d’Alcionide ne me donne plus de ſatisfaction, que vous ne pouvez vous l’imaginer : mais c’eſt que la longue habitude que j’ay contractée avec la douleur, fait que je ne puis paſſer d’un ſentiment à l’autre en un moment : ny ſentir de la joye avec excés, apres avoir ſenty une affliction exceſſive. Mais, me dit il) mon cher Vainqueur, qu’elle route tenons nous ? Je n’en sçay rien y luy dis-je, & la victoire que j’ay remportée m’a couſté ſi cher, que vous me ferez plaiſir de ne me dire jamais rien qui