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Terre. C’eſt une grande douleur, adjouſtois-je, que de voir une perſonne que l’on aime cherement en danger de mourir : Mais la voir en cét eſtat de ſa propre main, eſt une douleur qui ſurpasse toutes les douleurs, & qui ne doit point trouver de remede qu’en la mort. Apres cela, je fus quelque temps ſans parler : puis m’imaginant tout d’un coup, que peut-eſtre ſeroit il empiré à Alcionide : l’impatience me prit, & je ne pûs plus durer dans mon Vaiſſeau. Ce n’eſt pas que la veuë de Tiſandre ne me contraigniſt eſtrangement, & ne m’affligeaſt beaucoup : m’eſtant impoſſible de le regarder comme mon Amy, & ne pouvant m’empeſcher de le regarder ſeulement comme le Mary d’Alcionide, & comme le deſtructeur de tous mes plaiſirs. Mais apres tout, ne pouvant voir Alcionide ſans voir Tiſandre, je me reſolus à ſouffrir une douleur ſi ſensible, pour jouïr d’une conſolation qui m’eſtoit ſi neceſſaire. Je repaſſay donc dans l’autre Vaiſſeau : & comme Alcionide dormoit, je fus contraint de voir Tiſandre ſans la voir. La triſtesse qu’il remarqua dans mes yeux le touchant, parce qu’il la croyoit cauſée ſeulement, pour l’amour de luy : il eut la generoſité de me dire, qu’il ne m’accuſoit point de l’accident qui luy eſtoit arrivé : qu’il en eſtoit ſeul coupable ; puis qu’il luy eſtoit plus aiſé de s’imaginer que c’eſtoit moy qu’il avoit rencontré, qu’il ne me l’eſtoit de croire que ce fuſt luy que j’avois trouvé. Qu’il regardoit donc ce malheur, comme une choſe où je n’avois point de part (car il n’avoit pas veû la Javeline où le Nom d’Alcionide eſtoit gravé) & qu’en fin il voyoit bien, que les Dieux ſeuls avoient voulu que la choſe arrivaſt ainſi. Cependant, me diſoit-il, je ne puis me conformer à leur volonté : & ſi Alcionide meurt, je mourray