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de haïr mon Rival, puis qu’il eſt mon Amy & mon bien-faicteur : il ne me le ſera jamais, d’oſer parler de ma paſſion, à la Perſonne qui la cauſe : l’eſperance ne peut plus avoir de place en mon ame : mon amour meſme ne sçauroit plus eſtre innocente : je n’oſerois d’oreſnavant me pleindre qu’en ſecret : je n’ay point lieu d’accuſer Tiſandre : je n’ay pas la force de luy advoüer ma paſſion : joint que je la luy advoüerois inutilement, puis qu’il eſt Mary d’Alcionide : En un mot je ſuis au plus deplorable eſtat, où jamais un Amant puiſſe eſtre. Mais helas, reprenois-je tout d’un coup, que dis-je, & que fais-je ? je parle comme ſi Alcionide n’eſtoit point bleſſée ; & bleſſée de ma propre main ; & peut-eſtre en danger de mourir, comme je l’ay déja dit. Ha cruel, pourſuivois-je, pourras tu ſouffrir que cette main ſacrilege, ſoit jamais occupée à autre choſe, qu’a t’enfoncer un Poignard dans le cœur ? Mais, me diſoit Leoſthene, vous n’eſtes point coupable : & le hazard tout ſeul, a fait la bleſſure d’Alcionide. Apres cela, je fus quelque temps ſans parler ; ayant l’eſprit remply de tant de penſées differentes, que je n’eſtois pas Maiſtre de moy meſme. Si elle meurt, diſois-je, il la faut ſuivre au Tombeau : & ſi elle eſchape, adjouſtois-je, il faut encore mourir, car elle n’échapera que pour Tiſandre. Tiſandre, reprenois je, qui eſt déja ſon Mary, & qui le ſera touſjours : Tiſandre qui peut-eſtre un jour ne l’aimera plus, comme il n’aime plus la belle Sapho : Tiſandre à qui j’ay de l’obligation : Tiſandre que je n’oſerois haïr, & que je ne puis plus aimer : Tiſandre enfin, pourſuivois-je, qui détruit toutes mes eſperances, & qui me va rendre le plus mal heureux Prince de la