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luy repliquay-je, & que je ne craindray plus moy meſme, vous le devinerez peut-eſtre. De vous repreſenter, Seigneur, le deſordre de mon ame ; l’eſtonnement d’Alcionide ; celuy de ſa Tante & de ſes Amies ; le deſpit de Leoſthene ; & mon deſespoir ; ce ſeroit une choſe impoſſible : mais enfin emporté par mon amour, par mon reſpect, & par mon repentir, je remis Alcionide à terre, & de là dans ſon Chariot : & ſans me pouvoir ſouvenir ny de ce que je luy dis ; ny meſme ſi je luy dis quelque choſe : je sçay ſeulement que je la quittay ; que je me rembarquay ; & que quoy que je ne deuſſe partir que la prochaine nuit, je fis lever les Anchres, hauſſer les Voiles ; & que je m’eſloignay enfin malgré Leoſthene & malgré moy meſme, s’il faut ainſi dire, du rivage de Gnide, où tout ce que j’aimois demeuroit. Leoſthene voulut me dire quelque choſe, mais je ne pûs ſouffrir ſa veuë, ny recevoir ſes excuſes : & il falut qu’il donnaſt quelque temps à ma douleur, auparavant que je luy pardonnaſſe ſon mauvais conſeil. Je n’eus pas fait une heure de chemin, que je commanday que l’on abaiſſast les Voiles, & que l’on jettaſt les Anchres, en un lieu où l’on pouvoit encore le faire : & quoy que ce commandement paruſt fort bizarre, je ne laiſſay pas d’eſtre obeï. Cependant ſans sçavoir ce que je voulois, j’eſtois dans une douleur extréme : il y avoit des momens, où la ſeule abſence d’Alcionide m’affligeoit : il y en avoit d’autres, où j’eſtois au deſespoir, d’avoir conſenty à un deſſein ſi injuſte : & il y en eut d’autres encore, où, ſi je l’oſe dire, je me repentis de m’eſtre repenty. Ces derniers furent pourtant ſi courts, que je penſe qu’il m’eſt permis de croire que je n’en fus gueres