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moy je vous prie, ſi voſtre Vaiſſeau ſera bien toſt en eſtat de vous permettre de partir : car je m’imagine que vous ſouhaitez autant voſtre départ, que tous ceux qui vous connoiſſent icy le craignent. Je me trouvay alors fort embarraſſé : parce qu’encore que les paroles d’Alcionide ſemblassent me donner lieu de luy découvrir une partie de mes ſentimens : elle avoit pourtant dans les yeux une ſeverité ſi grande malgré leur douceur, que je ne l’oſay jamais faire. Je luy dis donc ſeulement, que je ne croyois pas qu’il fuſt poſſible d’eſtre fort preſſé de partir d’un lieu où elle ſeroit : mais comme la ſeule civilité pouvoit faire dire ce que je luy diſois, elle y reſpondit civilement : & tout le reſte de la converſation ſe paſſa de cette ſorte, l’en eus pluſieurs autres avec elle, ſans pouvoir jamais me reſoudre à m’expoſer à ſa colere, en luy parlant ouvertement de mon amour : je sçeus meſme par Leoſthene, que depuis ce premier jour là, Alcionide ne parla plus de moy à ſa Parente. Cependant je faiſois durer le travail de ceux qui racommodoient mon Vaiſſeau, le plus long temps qu’il m’eſtoit poſſible : & peu s’en falut que je ne fiſſe encore rompre ce qui n’eſtoit point rompu, afin de le faire refaire d un bout à l’autre : De ſorte que je fus ſix ſemaines au lieu de trois au Port de Gnide. Mais enfin le ſage Thales, que j’avois envoyé advertir ſecretement du lieu où j’eſtois, me manda qu’il y avoit quelque aparence de ſedition dans Milet, & qu’il me conſeilloit de m’en aprocher : me voila donc forcé à partir, meſme par l’intereſt de mon amour. De plus, comme le Peuple de Gnide s’eſtoit aperçeu de la longueur affectée des Ouvriers qui racommodoient mon Vaiſſeau, il s’eſtoit eſpandu quel que bruit que j’avois