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caché de mes paroles) vous ne sçavez pas ſi bien que moy, où voſtre Vaiſſeau échoüa ; car je le vy de mes propres yeux : mais pour vous, je m’aſſure que vous eſtiez ſi occupé à donner les ordres, que vous ne le remarquaſtes pas. Je sçay bien Madame, luy dis-je, que mon naufrage s’eſt fait en voſtre preſence : mais cela n’empeſche pas que je ne croye, que celuy qui perit sçait beaucoup mieux où il perit, que ceux qui ne font que le regarder. Pour moy, adjouſta t’elle encore en riant, ſi je ne vous croyois pas l’ame extrémement ferme, je croirois que la peur auroit un peu troublé voſtre raiſon en cét inſtant : car je vous aſſure que ce fut au pied de ce grand rocher que vous fuſtes en peril. Et je vous aſſure Madame, luy dis-je, que malgré tout le reſpect que je vous dois, il faut que je ſoustienne que ce fut veritablement aſſez prés de ce rocher que je fis naufrage : mais que ce ne fut point du tout où vous dittes. Alcionide qui n’avoit pas accouſtumé de me trouver ſi peu complaiſant, ſoubçonna en fin qu’il y avoit quelque ſens caché à mes paroles : & rougiſſant tout d’un coup, l’ay tort, me dit elle, de vouloir diſputer contre vous, pour une choſe de nulle importance : car puis que vous eſtes eſchapé de ce peril, c’eſt aſſez ; & je ne dois plus en parler. Mais en verité, dit elle en riant encore, ceux qui diſent qu’un ſage Pilotte ne doit jamais faire deux fois naufrage contre un meſme eſcueil, ne sçavent pas la difficulté qu’il y a à s’en empeſcher : puis que vous qui eſtes ſi ſage en apparence, ne connoiſſez déja plus celuy qui vous penſa faire perir. Quoy qu’il en ſoit n’en parlons plus, adjouſta t’elle, & pour vous entretenir de quelque choſe qui vous plaiſe davantage, dittes