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qui l’euſſent veuë : mais aimée inutilement, ſans avoir jamais pû toucher ſon cœur : & il me dit en fin tant de choſes à ſon avantage, que ne pouvant douter que ſon ame ne fuſt auſſi belle que ſon corps, & auſſi Grande que ſon eſprit : il y eut des moments où je me trouvay encore avez de raiſon pour eſtre au deſespoir de ne trouver pas en elle les deffauts que j’y cherchois : & il y en eut pluſieurs autres auſſi, où malgré moy mon cœur avoit une joye inconcevable, de sçavoir que celle qu’il adoroit eſtoit toute parfaite & toute admirable. Il falut donc ceder. Seigneur, & ſe reſoudre à aimer Alcionide : je ne ceſſay pourtant pas de haïr le Prince de Phocée, non plus qu’Alexideſme, Melaſie, Philodice, & Anthemius : au contraire, je leur voulus encore plus de mal qu’auparavant, parce que le malheureux eſtat où ils m’avoient reduit, eſtoit preſques le ſeul obſtacle que je voyois à mon amour. De ſorte que ſans abandonner le ſoing des affaires de Milet, je commençay de prendre celuy de plaire à Alcionide ſi je le pouvois ; ſi bien que je n’eſtois pas peu occupé. Comme Euphranor eut quelque ſoubçon que je n’eſtois pas de la condition dont on me diſoit, il me traita touſjours fort civilement, & ne trouva point mauvais que j’allaſſe tous les jours chez luy : Mais, Seigneur, plus je voyois Alcionide, plus je la trouvois charmante : & il me ſembla meſme qu’elle ne me regardoit point comme un Pirate. Je n’en eſtois pourtant pas plus heureux ; parce que je connoiſſois bien qu’elle ne me regardoit pas auſſi comme ſon Amant. J’euſſe bien voulu quelqueſfois luy donner ſujet de deviner mes penſées : mais un moment apres je me repentois