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bien trompeuſes : & puis quand meſme vous ne ſeriez pas ce que je croy que vous eſtes ; je ne me repentirois pas encore d’avoir eu de la pitié : puis que tous les malheureux en doivent donner à tout le monde, & principalement à celles du ſexe dont le ſuis. Ha, Madame, luy dis-je, ne changez jamais de ſentimens, je vous conjure : il ſemble, dit elle, à vous entendre parler, que vous ayez beaucoup d’intereſt au party des infortunez : plus que tous les hommes du monde, luy repliquay-je, non ſeulement par les malheurs qui me ſont deſja advenus, mais par ceux encore que raiſonnablement je dois prevoir qui m’arriveront. C’eſt eſtre trop ingenieux à ſe perſecuter, dit elle, que de s’affliger de ce qui peut-eſtre n’arrivera point : & pour moy, je vous avouë, que je condamne preſque également, ceux qui ſe croyent heureux, par la ſeule eſperance de l’eſtre : & ceux auſſi qui ſe font malheureux, ſeulement par la crainte de le devenir. Il y a pourtant d’une eſpece de gens au monde, luy dis-je en ſous-riant, dont pour l’ordinaire tous les plaiſirs & toutes les peines, conſistent à eſperer & à craindre : j’en ay oüy parler quelqueſfois, reprit Alcionide en ſous-riant auſſi bien que moy, mais je ne croy pas de ces gens là tout ce que l’on en dit. Joint que pour vous, adjouſta t’elle, vous ne pouvez connoiſtre cette eſpece d’infortune dont vous voulez parler : puiſque paſſant toute voſtre vie ſur la Mer, vous ne pouvez eſperer que le calme, & ne pouvez craindre auſſi que la tempeſte. Les Pirates (luy repliquay-je d’un ton de voix à luy faire croire que je ne l’eſtois pas) ne ſont pas ſortis de la Mer comme voſtre Deeſſe : ils naiſſent ſur la, terre ainſi que les