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luy devois avoir quelque obligation, des ſentimens qu’elle avoit eus pour moy, avant meſme que de me connoiſtre : car imaginez vous, me dit elle, que comme c’eſt un de mes divertiſſemens, quand la Mer eſt irritée, de voir ces Montagnes d’eſcume qui bondiſſent contre nos Rochers : j’eſtois aux feneſtres de mon Cabinet, lors que voſtre Vaiſſeau pouſſé par les vents vint eſchoüer contre le pied de ce Chaſteau. De ſorte que comme je creus que tout ce qui eſtoit dedans alloit perir ; J’advoüe que le cœur m’en batit, & que je demanday aux Dieux qu’ils vous conſervassent. Ainſi le premier ſentiment que j’ay eu pour vous, ayant eſté de pitié : il me ſemble que vous devez en avoir quelque legere reconnoiſſance. Quoy Madame, luy dis-je, c’eſt à vos vœux que je dois mon ſalut ; & c’eſt donc veritablement vous que l’en dois remercier ? C’eſt aux Dieux, repliqua t’elle, & non pas à moy, que vous devez rendre grace : & vous ne me devez au plus qu’un peu de loüange de la pitié que j’ay eue de vous, ſans sçavoir qui vous eſtiez. Auſſi, adjouſta t’elle, vous ay-je veû ce matin au temple, où vous remerciyez ſans doute la Deeſſe qu’on y adore, de vous avoir conſervé. Il eſt vray, luy dis-je, que j’y ſuis allé pour cela : car je ne sçavois encore que c’eſtoit à vous & non pas à moy, qu’elle avoit accordé mon ſalut. Mais preſentement, adjouſtay-je, je ne m’eſtonne plus que la Deeſſe de la Beauté, ait accordé à la plus belle Perſonne du monde, une choſe qu’elle a ſouhaitée. Touteſfois, Madame, pourſuivis-je, peut-eſtre vous repentirez vous du bien que vous m’avez fait ſans me connoiſtre, des que vous me connoiſtrez. Je ne le penſe pas, dit elle, ou les aparences ſont