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fus chez luy ce matin là, & je l’entretins ſelon ſon advis ſi agreablement, qu’il me teſmoigna eſtre bien aiſe de ma connoiſſance. Apres l’avoir quitté, comme je sçay que pour l’ordinaire les preſens ſont autant envers les hommes, que les Sacrifices & les Offrandes envers les Dieux, je luy envoyay une Eſpée admirablement belle : dont la Garde eſtoit garnie d’or & de pierreries, avec un travail merveilleux : car elle eſtoit de la main du Pere de ce grand Amy du ſilence ; de ce Philoſophe ſi celebre par tout le monde : de ce rare Artiſan, dis-je, qui eſt ſans pareil pour l’Orphevrerie. Euphranor fut ſurpris de la magnificence de mon preſent, qu’il reçeut aveque joye : cependant j’eſtois ſi charmé de la veuë d’Alcionide, que je ne me ſouvenois pas de donner les ordres neceſſaires pour racommoder mon Vaiſſeau ; auſſi en laiſſay-je abſolument le ſoin à Leoſthene ; & je demeuray ſeul dans la Chambre j’eſtois alors, ſans pouvoir penſer à nulle autre choſe qu’à cette belle Perſonne. Je fus prés d’une heure à reſver fort agreablement, & à me ſouvenir avec plaiſir de la douceur de ſes yeux ; de la blancheur de ſon teint ; des juſtes proportions de tous les traits de ſon viſage ; de l’agrement que l’on y voyoit ; de la modeſtie qui paroiſſoit en ſon action, de l’aiſance de ſa taille ; & de l’eſprit que l’on remarquoit en ſa phiſionomie. Mais apres avoir bien reſvé, tout d’un coup je m’eſtonnay de me ſurprendre en une pareille occupation : moy, dis-je, qui depuis la perte de mon Pere & de mon Eſtat, n’avois jamais eſté un moment ſeul ; ſans avoir l’eſprit remply de penſées de haine & de vangeance : & qui ne ſongeois enfin à autre choſe, qu’aux moyens de regagner ce que j’avois