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n’avois point l’air d’un Pirate, ſelon qu’on les luy avoit dépeints : de ſorte que pour la confirmer en cette bonne opinion, je taſchay de reſpondre à Euphranor, le plus à propos qu’il me fut poſſible. En effet il fut ſi content de moy, que ſans s’arreſter à cette pretenduë qualité de Pirate, qui ne donne gueres l’entrée des Ports à ceux qui la portent, il m’offrit ſon aſſistance de fort bonne grace : & m’aſſura que je pouvois tarder à Gnide autant de temps que je voudrois, pour faire racommoder mon Vaiſſeau. Apres cela je me retiray, faiſant pourtant encore durer la converſation autant que je le pus, afin de voir plus longtemps l’admirable Alcionide. Mais enfin je ſortis de cette Galerie, & je m’en retournay à mon Navire : neantmoins comme il faiſoit eau de toutes parts, je fus contraint d’aller loger à la Ville, à un bout de laquelle ce Chaſteau eſt baſti : ayant touſjours dans l’eſprit l’image de cette belle Perſonne que j’avois veuë. Le lendemain au matin, je fus à ce celebre Temple qui porte le nom de Venus Gnidienne, où je trouvay deſja la divine Alcionide : mais ſi charmante & ſi aimable, que je changeay de couleur auſſi toſt que je l’aperçeus. Comme j’avois pris ce jour là un habit fort magnifique, elle penſa ne me connoiſtre pas : touteſfois s’eſtant remis un moment apres mon viſage en la memoire, elle me rendit le ſalut que je luy fis, avec aſſez de civilité. Comme elle eſtoit avec ſa Mere, & que je ne paſſois que pour un Pirate dans leur eſprit, je n’oſay les aborder : & je creus qu’il faloit demander la permiſſion de les voir, auparavant que de l’entreprendre. Je creus meſme qu’il faloit aller remercier Euphranor, & luy faire une viſite de ceremonie ; de ſorte que je