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Fils. Comme ce crime eſtoit fort noir, il ne fut creû pas de tout le monde : & on s’imagina que je ne diſois cela, que pour les rendre plus odieux. Cependant le ſage Thales qui me l’avoit mandé, l’avoit sçeu avec aſſez de certitude pour n’en douter pas : mais comme ſes malheurs viennent ordinairement en foule, je ne fus pas pluſtost en pleine Mer, que le calme ceſſa, & que la tempeſte revint : & une tempeſte ſi forte, qu’en deux heures toute ma Flotte fut diſpersée. Le vent repouſſa meſme malgré eux quelques uns de mes Vaiſſeaux, juſques au Port de Milet : les autres ſe briſerent contre des rochers : quelques uns tournerent tout d’un coup, & furent engloutis dans les abiſmes de la Mer : & je demeuray avec trois ſeulement, à lutter contre les vents & contre les vagues. Je crus cent & cent fois que j’allois perir : & cent & cent fois je rendis graces aux Dieux, dans l’eſperance que j’avois de ne ſurvivre point à mes infortunes. Mais à la fin malgré moy il falut vivre : & apres un jour & une nuit de tempeſte eſpouventable, je fus jetté à l’Iſle de Chio, où j’aborday & où je fus reçeu, pour racommoder ſeulement mes Vaiſſeaux : car comme ceux de cette Iſle sçavoient deſja le changement arrivé à Milet, ils craignirent que s’ils me ſouffroient plus long temps à leurs Ports, ce ne fuſt donner un pretexte de guerre contre eux aux Mileſiens. Enfin, Seigneur, je connus en cette rencontre, que ceux qui ont le plus de beſoin de retraite, ſont ceux à qui l’on en offre le moins : & que les malheureux ne trouvent gueres d’Aziles, chez ceux qui ne le ſont pas. Ce fut en vain que j’attendis pour voir ſi quelques autres de mes Vaiſſeaux ne me viendroient point rejoindre ; car ſoit qu’ils euſſent tous peri ; que la tempeſte les euſt jettez