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aporter preſques la nouvelle aſſurée de ſa mort : car il vit parmy les Armeniens qui remportoient ceux des leurs qui avoient eſté tuez, un Eſcuyer d’Otane qu’il connoiſſoit de veuë : & qui cherchât ſon Maiſtre fut au bord du Torrent qui tombe dans ce petit Valon où le Prince Phraarte s’eſtoit retiré. Mais à peine y fut il qu’il fit un grand cry : Artabane s’aprocha alors de luy, & vit entre des Rochers que la chutte du Torrent couvroit à demy de gros boüillons d’eſcume, un homme mort, dont on ne voyoit pas le viſage : ſur lequel ces bouillons d’eau tumultueux & blanchiſſans, ſe precipitoient continuellement les uns ſur les autres, & ne donnoient pas loiſir de le pouvoir bien diſcerner. Neantmoins par le reſte du corps que l’on apercevoit mieux, cét Eſcuyer d’Otane, ne douta point que ce ne fuſt ſon Maiſtre qu’il voyoit en cét eſtat là : car il en connoiſſoit l’habillement & les armes qui eſtoient fort remarquables. Il voyoit meſme par une eſpaule qu’il avoit toute hors de l’eau, qu’il avoit eſté extrémement bleſſé, parce qu’elle étroit toute ſanglante. Cependant comme ce Torrent eſtoit fort large & fort rapide & aſſez profond, on ne pouvoit pas aller facilement où eſtoit ce Mort. Ils envoyerent querir quelques Lances pour le retirer, mais elles ſe trouverent trop courtes : de ſorte qu’il falut imaginer quelque autre invention : car un homme n’y pouvoit aller de pied ferme, ny entreprendre d’y nager. Mais durant qu’ils cherchoient quelque nouveau moyen de retirer ce Corps, une grande chutte d’eau le deſtacha des pointes de Rocher qui l’avoient arreſté : & le roula avec precipitation parmy ſes flots juſques à trente pas de là, ſans qu’on le peuſt empeſcher ; où par ſon impetuoſité, le Torrent le pouſſa dans un abyſme, où il ſe perdoit luy meſme, & s’engloutiſſoit ſous