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entendu : Où vas tu Cyrus. Ne sçais tu pas qu’il n’eſt pas glorieux de vaincre touſjours ? Laiſſe toy vaincre quelqueſfois : & crois certainement qu’eſtant vaincu de cette ſorte, tu vaincras mieux qu’eſtant vainqueur : & en cette rencontre, tu conteras avec plus d’honneur entre tes Victoires, les Triomphes de ta clemence, que ceux de ta force & de ſon courage. Cyrus qui s’eſtoit arreſté, dés qu’il avoit remarqué qu’il faloit eſcouter au lieu de combattre : dit en ſous-riant, & en ſe tournant vers Chriſante qui le touchoit, rien n’eſt plus ingenieux que la mauvaiſe fortune : ny rien plus adroit que la neceſſité. Eh qu’il eſt bien vray de dire, que nous parlons beaucoup plus ſagement & plus eloquemment quand nous ſommes vaincus, que quand nous ſommes vainqueurs. Apres cela tendant la main à cet Ennemy deſarmé, qu’il ne connoiſſoit pas encore, aſſure toy, luy dit il, que tu n’auras mal aucun : & que qui que tu ſois, il n’eſt point de ſervice que je ne te veüille rendre, meſme juſques à la liberté : Car je ſuis accouſtumé de tenir pour ennemis, non pas ceux qui ſe ſont deffendus, mais ceux qui ſont encore en pouvoir de ſe deffendre. Phraarte eſtant charmé de la generoſité de Cyrus, je ne m’eſtonne pas, luy dit il, ſi les Dieux donnent ſi ſouvent la victoire, à un Prince qui en sçait ſi bien uſer : & je m’eſtonne encore moins, de la violente amitié que le Prince Tigrane mon Frere, a euë pour l’illuſtre Artamene. A ces mots Cyrus connoiſſant que c’eſtoit le Prince Phraarte, & Araſpe qui le connoiſſoit l’en ayant encore aſſuré, il l’embraſſa fort civilement : & remarquant qu’il eſtoit bleſſé, il donna ordre que l’on allaſt en diligence querir leurs chevaux, qu’