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en mer, apres que l’on eut enſevely dans ce meſme ſable, & ce pauvre Eſclave, & tous ces autres morts, qui eſtoient ſur les pointes de ces Rochers : & par les ordres de la Princeſſe qui en pria Spitridate, nous priſmes la reſolution d’aller aborder à une Plage qui n’eſt pas extrémement eſloignée de l’endroit où la baſſe Armenie du coſté du Pont, confine avec une petite Province qui eſtoit autrefois au Roy. De vous dire, Seigneur, les entretiens de Spitridate & de la Princeſſe Araminte pendant cette navigation, il ne ſeroit pas aiſé : car tout ce que l’amour & la vertu peuvent faire dire à deux perſonnes malheureuſes, ils ſe le dirent l’un à l’autre. Mais enfin apres eſtre arrivez à cette Plage, nous y quittaſmes noſtre Vaiſſeau : & Democlide, à qui Spitridate avoit fait prendre autant d’argent qu’il en faloit pour un long voyage, lors que nous avions paſſé à ſon Quartier, fut à la Ville la plus proche nous acheter des Chevaux : pour aller gagner l’Euphrate, ſur lequel nous nous miſmes : car comme vous sçavez, ce Fleuve ſepare les deux Armenies.

Comme il fut queſtion de sçavoir ce que deviendroit Spitridate, ce fut la plus pitoyable choſe du monde ; principalement quand nous fuſmes arrivez en Armenie, & que la Princeſſe luy dit qu’il faloit l’abandonner. J’advoüe, luy dit elle, que je me fie point aſſez à la generoſité du Roy mon Frere, quoy qu’il ſoit tres genereux ; pour remettre en ſes mains un Prince qu’il n’a jamais fort aimé : qui eſt Fils de ſon Ennemy : & d’un Ennemy encore, qui luy a oſté deux Royaumes. Ainſi Spitridate, comme vous avez eu aſſez de vertu, pour m’empeſcher de tomber entre les mains du Roy voſtre Pere : il faut que j’en aye auſſi aſſez, pour ne vous