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fin qu’il m’en diſt, & qu’il luy peuſt aprendre des miennes : de ſorte que le ſoir eſtant venu, nous ne doutaſmes point que ce Prince ne fuſt preſt à par tir : ce qui nous donna tant d’inquietude, que je m’eſtonne que l’on ne s’aperçeut que la Princeſſe avoit quelque choſe d’extraordinaire dans l’eſprit. Mais enfin nous apriſmes le lendemain, que Spitridate eſtoit ſorty heureuſement d’Heraclée, par le meſme endroit par où il avoit faint de s’eſtre evadé : ce Capitaine y ayant fait venir la nuit un Eſquif pour le conduire à une Barque qui l’attendoit ; & s’eſtant ſervy de la meſme Eſchelle de corde, par où l’on avoit creû que ce Prince s’eſtoit ſauvé. Quoy que la Princeſſe deuſt bien eſtre accouſtumée à ne voir pas Spitridate, & que par raiſon elle deuſt eſtre plus aiſe qu’il s’eſloignast, que d’eſtre encore dans la priſon d’où nous l’avions tiré : neantmoins il luy eſtoit impoſſible de ne ſentir pas un renouvellement de douleur dans ſon ame, quand elle venoit à penſer que peut-eſtre ne le verroit elle plus jamais. Elle aprehendoit pourtant un moment apres, qu’il ne fuſt repris : & je ſuis aſſurée qu’elle deſira plus d’une fois des choſes, toutes contraires les unes aux autres.

Mais enfin il ſe falut accouſtumer à cette longue & rigoureuſe abſence, pendant laquelle il arriva tant d’evenemens remarquables : car comme vous le sçavez Seigneur, Ciaxare refuſa la Princeſſe Mandane au Roy de Pont, ce qui luy fit bi ? oublier la fuitte de Spitridate : en eſtant ſi ſensiblement touché, qu’il ſe reſolut à declarer la guerre à Ciaxare, ſur le pretexte des Villes d’Aniſe & de Ceraſie. Vous sçavez Seigneur bien mieux que moy, ce qui s’y paſſa : & vous y aquiſtes trop de gloire, pour pouvoir meſme ſouffrir que je vous en renouvelle le ſouvenir