Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée

infortunes. Cependant on s’informe par tout, ſi ce Prince n’a point eu d’intelligence avec quelqu’un : Ceux chez qui il avoit eſté logé eſtant arreſtez : on les interroge : mais quoy que l’on puiſſe faire, on ne trouve rien ny qui le juſtifie, ny qui le convainque ; de ſorte que dans cette incertitude, il eſtoit gardé tres eſtroitement.

Ce qui contribua encore beaucoup à ſon malheur, fut que le Roy de Pont eſtoit ſi melancolique & ſi chagrin, que l’on ne le connoiſſoit plus, tant il paroiſſoit changé. D’abord on creut que la mort du Roy ſon Pere, & celle du Prince ſon Frere en eſtoient la veritable cauſe : mais nous sçeumes bien toſt apres, que ſon inquietude eſtoit cauſée par l’amour qu’il avoit pour la Princeſſe Mandane. Car durant qu’il eſtoit en oſtage aupres de Ciaxare (comme vous l’aurez ſans doute sçeu) il en devint ſi amoureux, que jamais perſonne ne l’a tant eſté : ſi bien que comme ſon ame eſtoit chagrine par l’abſence de ce qu’il aimoit, il en eſtoit plus aiſé à irriter, & moins capable de connoiſtre l’innocence de Spitridate. Touteſfois comme ce Prince eſt aſſurément un fort honneſte homme, il vivoit bien avec la Princeſſe ſa Sœur : & quoy que Pharnace luy euſt parlé de l’entre-veuë de Spitridate & d’elle, il ne luy en parla pourtant pas avec beaucoup d’aigreur : au contraire l’eſtant venuë voir un jour, apres luy avoir dit auparavant ſans colere, tout ce qu’un Prince ſage & adroit pouvoit dire, en une pareil le rencontre, pour deſcouvrir ſes veritables ſentimens : il luy dit encore qu’il eſtoit bien faſché de luy avoir peut-eſtre cauſé quelque deſplaisir, en faiſant arreſter Spitridate, pour qui il sçavoit bien qu’elle avoit conçeu beaucoup d’eſtime, par les commandemens