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moy à l’eſtimer, plus que tout le reſte du mon de ? S’il en avoit uſé ainſi, luy dis je, ç’auroit eſté pour mieux tromper toute la Cour, & pour mieux cacher ſes deſſeins : Mais Madame, je ne le crois point ; & quoy que certaine melancolie que j’ay remarquée depuis quelques jours dans ſon eſprit, embarraſſe un peu le mien, je ſuis pourtant fortement perſuadée, qu’il vous aime veritablement. Si cela eſt, repliqua t’elle, pour quoy s’en va t’il ? & comment peut il eſperer que je luy conſerve mon affection, s’il entreprend de faire la guerre au Roy mon Pere ? Croyez Heſionide, (adjouſta t’elle, en eſſuyant quelques larmes qui tomboient malgré elle de ſes beaux y eux) que quelque ſoin que je prenne de juſtifier Spitridate, je ne trouve pas lieu de le faire. Il aura peut-eſtre creu, adjouſta t’elle, qu’il n’y avoit point de laſcheté, à tromper la Fille d’un Prince qui luy retient un Royaume : & que pour remonter au Throſne, il eſtoit permis de faire cent mil le faux ſerments, & cent mille proteſtations menſongeres. Mais non Spitridate, reprenoit elle, vous vous eſtes abuſé : la vertu heroïque eſt plus difficile à pratiquer que vous ne penſez : & il n’eſt jamais premis de faire des crimes, meſme pour gagner des Couronnes. Ne vous haſtes pas tant, luy dis-je, Madame, de condamner un Prince qui vous a toujours paru ſi vertueux : Ha Heſionide, me dit elle, ſi vous sçaviez tout ce qu’il me dit hier au ſoir, vous ſeriez eſpouvantée d’apprendre qu’il ait pû m’abandonner aujourd’huy : & qu’il ait pû ſe reſoudre, à declarer la guerre au Roy mon Pere. Car enfin il sçait bien qu’on ne luy rendra pas le Royaume de Bithinie ſans combattre : & il doit s’imaginer que s’il combat contre le Roy de Pont à qui je dois la vie, je me combatray