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peint Artamene aſſez injuſte, pour ſe tenir outragé d’une choſe faite ſans deſſein : & je ne penſe pas qu’il ſoit changé depuis qu’il eſt Cyrus. Il n’eſt pas changé, reprit il, car il aime la Princeſſe Mandane, comme il l’aimoit en ce temps là, quoy que le Roy de Pont ne le sçeuſt pas : de ſorte, Madame, qu’il vous eſt aiſé de juger, qu’en enlevant cette Princeſſe, & en la retenant apres contre ſa volonté, il ne m’a pas obligé. Je ne vous parlerois pas ainſi, pourſuivit il, ſi la paſſion que j’ay pour elle, n’eſtoit aujourd’huy sçeuë de toute l’Aſie : & ſe je n’eſtois forcé de me juſtifier dans l’eſprit d’une auſſi excellente perſonne que vous. Seigneur, luy dit elle, je n’ay plus rien à vous dire : & dés que l’amour ſe meſle dans une avanture je n’en ſuis plus ſurprise, quelque bizarre qu’elle ſoit. Cependant je puis vous dire pour voſtre conſolation, que le Roy mon frere a un ſi profond reſpect pour la Princeſſe Mandane, que vous ne devez rien craindre pour elle : & ſi je sçavois où il eſt, je vous ſupplierois de me permettre d’aller, eſſayer d’obtenir de luy qu’il la rendiſt au Roy ſon Pere. Cyrus remercia cette Princeſſe avec beaucoup d’affection : & leur converſation fut ſe obligeante de part & d’autre, que Cyrus eſtoit eſtonné de ſe trouver tant de diſposition à vouloir ſervir une Sœur de ſon Rival. Il eſt vray qu’elle eſtoit ſe aimable & ſe parfaite, qu’il n’euſt pas eſté poſſible de ne l’eſtimer pas infiniment : & de n’avoir pas du moins beaucoup d’amitié pour elle, quand on n’eſtoit plus en termes de pouvoir avoir de l’amour. De plus, comme elle trouvoit en la veuë de Cyrus, la reſſemblance d’une perſonne qui luy eſtoit infiniment chere, elle avoit pour luy, & meſme ſans s’en appercevoir, une civilité plus