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fut prendre congé de Ciaxare, qui l’embraſſa avec une tendreſſe ſans pareille : ceux des Cheſſ qui n’alloient pas aveques luy, furent auſſi luy dire adieu : & luy teſmoigner de nouveau la douleur qu’ils avoient, de ce qu’ils ne feroient que le ſuivre. Cyrus avoit ce jour là dans les yeux, je ne sçay quelle noble fierté, qui ſembloit eſtre d’un heureux preſage : & à dire vray, il euſt eſté difficile de s’imaginer en le voyant : qu’il euſt pû eſtre vaincu, tant ſa phiſionomie eſtoit Grande & heureuſe. Ce Prince eſtoit d’une taille tres avantageuſe & tres bien faite : il avoit la teſte tres belle : & tout l’art que les Medes aportent à leurs cheveux, n’approchoit point de ce que la Nature toute ſeule faiſoit aux ſiens : qui eſtant du plus beau brun du monde, faiſoient cent mille boucles agreablement negligées, qui luy pendoient juſques ſur les eſpaules. Son taint eſtoit vif ; ſes yeux noirs pleins d’eſprit, de douceur, & de majeſté : il avoit la bouche agreable & ſous-riante ; le nez un peu aquilin ; le tour du viſage admirable ; & l’action ſi noble, & la mine ſi haute, que l’on peut dire aſſurément, qu’il n’y eut jamais d’homme mieux rait au monde que l’eſtoit Cyrus. De ſorte qu’il ne ſe faut pas eſtonner, ſi le jour qu’il partit de Sinope, eſtant monté ſur un des plus fiers & des plus beaux Chouaux que l’on vit jamais : ayant un habit de guerre le plus ſuperbe que l’on ſe puiſſe imaginer : & ayant mis auſſi pour ce jour là ſeulement, la magnifique Eſcharpe de la Princeſſe Mandane, tout le peuple le ſuivit juſques hors de la Ville, le chargeant de benedictions ; luy ſouhaittant la victoire ; & le voyant partir avec des larmes. Il eſtoit ſuivi de tous les principaux Chefs, & de tous les Volontaires : de ſorte que ce Gros de