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nul ſecours de ce coſté là : parce que n’eſtant accouſtumée qu’à le tromper, elle ne peut luy faire diſcerner la verité. Tant y a qu’apres une fort longue converſation, où Xanthus me dit touſjours que pour ceſſer d’eſtre jaloux, il faloit ceſſer d’aimer : & que pour ceſſer d’aimer, il faloit ceſſer de voir ce que l’on aimoit ; je le quittay, & je fus me promener ſeul, fort occupé à determiner ce que je voulois aire. Je n’en vins pourtant pas à bout ce jour là : & je penſe que ſi l’impitoyable Alcidamie n’euſt encore augmenté ma jalouſie par ſon procedé, j’euſſe encore eſté long temps irreſolu. Mais la grande feſte de Iunon eſtant arrivée, où toute l’Iſle de Samos eſt en reſjouïſſance : elle me donna tant de nouveaux ſujets de me pleindre, en toutes les Aſſemblées où je la vy : & elle me perſuada ſi bien, que tant que je ſerois jaloux, je ſerois touſjours haï, que je me reſolus enfin, ne pouvant ceſſer de l’eſtre, à ceſſer d’aimer ſi je le pouvois, & à m’eſloigner de Samos. J’inventay donc un pretexte pour en ſortir : & ne diſant la verité qu’au Prince Polycrate, de qui j’eſtois le moins jaloux ; je quittay ſon Iſle malgré toute la reſistance qu’il y fit, & je la quittay meſme ſans y dire adieu à perſonne. Mais afin qu’il ne manquaſt rien à mon malheur, en paſſant devant le logis d’Alcidamie, j’y vy entrer Timeſias & Hiparche : & je connus par le Train de Theanor, qu’il y eſtoit deſja devant les autres. Je m’imaginay alors ſi bien la joye qu’auroient mes Rivaux de mon abſence, que je penſay ne partir pas : neantmoins faiſant un grand effort ſur mon eſprit, je m’embarquay, & je m’en retournay en Chipre, un peu auparavant que le Prince Philoxipe fuſt amoureux de la belle Polycrite. Depuis cela j’ay mené une