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mettoit mon ame tellement à la gehenne, que je fus tous preſt de perdre le reſpect à diverſes fois. Mais enfin ce Prince remarquant le trouble de mon eſprit, me demanda ce que j’avois ? & comme je ne luy reſpondis qu’en biaiſant, il ſe mit à réver : & en ſuitte me regardant attentivement, Leontidas, me dit il, vous eſtes amoureux, ou je ſuis le plus trompé de tous les hommes. Mais ſi cela eſt, pourſuivit ce Prince, je voudrois bien pour voſtre repos, que ce ne fuſt pas d’Alcidamie : car c’eſt une perſonne de qui l’humeur indifferente vous donnera bien de la peine. Pour moy, entendant parler Polycrate ainſi, je creus qu’il vouloit ſeulement sçavoit mes veritables ſentimens : & je fus ſi interdit, que je ne pouvois luy reſpondre. Ce Prince voyant le deſordre où j’eſtois, en ſous-rit : & m’embraſſant avec beaucoup de bonté, Leontidas, me dit il, ne craignez pas de me deſcouvrir voſtre foibleſſe, puis que je ſuis reſolu de vous aprendre la mienne : & pour vous y obliger, adjouſta t’il sçachez que ce Polycrate que l’on croit ſi heureux, a un tourment ſecret qui trouble bien ſouvent toute ſa bonne fortune. Seigneur, luy dis-je alors tout tranſporté, il me ſemble qu’Alcidamie ne vous eſt pas fort contraire : Alcidamie en effet, me dit il, m’eſpargne quelqueſfois quelques rigueurs de Meneclide : mais apres tout, elle ne fait rien pour moy, que d’empeſcher que ſon Amie ne me mal-traite : & elle ne l’oblige pas à m’eſtre abſolument favorable. J’avouë que lors que j’entendis parler Polycrate de cette ſorte, je creus d’abord que c’eſtoit pour me tromper : toutefois ce Prince s’eſtant à la fin aperçeu de ma défiance ; & ayant meſme deviné une partie de mes ſentimens : il eut la bonté de me commander de les luy dire, & j’