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vers Theanor, je craignois que ſes regards ne l’empeſchassent de guerir de ſon amour, comme il m’avoit dit en avoir le deſſein. Quand Polycrate parloit à Meneclide, qui eſtoit chez Alcidamie, je croyois que c’eſtoit par fineſſe, & comme à la confidente de ſa paſſion : & ſi Alcidamie me vouloit faire quelque civilité, & m’engager dans la converſation generale ; je la regardois comme une perſonne qui me vouloit tromper, & je luy reſpondois avec chagrin. Enfin, je vous le confeſſe, j’euſſe voulu qu’Alcidamie n’euſt paru belle qu’à mes yeux : ou qu’elle euſt eſté inviſible à tout le reſte de la Terre. Je voulois pourtant qu’on l’eſtimast, & ſa gloire ne m’eſtoit pas indifferente : mais apres tout, je ne voulois point qu’on l’aimaſt : & je penſe que j’euſſe meſme pluſtost ſouffert qu’on l’euſt haïe. La converſation fut tout ce jour la fort agreable pour toute la Compagnie, excepté pour moy : le Prince Polycrate me raillant de mon chagrin, dit que j’eſtois ſans doute tres propre à eſtre un Amant diſcret, puis qu’il n’euſt pas eſté aiſé de deviner à me voir ſi melancolique, que j’avois le Portrait d’une des plus belles Perſonnes du monde. C’eſt Seigneur, luy dis je avec precipitation, que ce n’eſt pas eſtre fort heureux, que de ne tenir le Portrait de la belle Alcidamie, que des mains de la Fortune : & ſi je l’avois reçeu des ſiennes, cette Peinture me ſembleroit plus achevée, & me ſeroit encore plus precieuſe qu’elle n’eſt, quoy qu’elle me le ſoit beaucoup. Pour la pouvoir un jour recevoir de ſes mains, dit Polycrate en ſous-riant, il faudroit qu’elle ſortist des voſtres, & qu’elle rentraſt dans les ſiennes : ainſi il euſt falu la luy rendre hier comme je le diſois : & vous pouvez encore me