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Chambre d’Alcidamie avec le Prince Polycrate, preſque auſſi toſt qu’il en fut ſorti. Me voila donc ſelon ma penſée, au milieu de trois Rivaux, dont le moindre m’eſtoit tres redoutable : de quel que coſté que je me tournaſſe, je ne voyois que des objets faſcheux : car comme il eſtoit tres difficile qu’Alcidamie ne regardaſt pas ſouvent ou Polycrate, ou Theanor, ou Timeſias, ſans en avoir meſme le deſſein : je ſouffrois ce que je ne sçaurois exprimer. J’euſſe voulu fixer ſes yeux, s’il m’eſt permis de parler ainſi, & les attacher ſi fort dans les miens, qu’ils n’euſſent regarde que moy : Mais helas, je n’eſtois pas aſſez heureux pour cela. Car vous sçaurez qu’Alcidamie eſt une Perſonne de qui l’égalité d’humeur fait deſesperer ceux qui la ſervent : elle a une certaine civilité ſans choix, comme ſi elle ne faiſoit nul diſcernement des gens qui la viſitent, quoy que ce ſoit le plus delicat eſprit du monde. Mais elle s’eſt mis dans la fantaiſie, qu’il faut tout gagner & tout acquerir par cette innocente voye : de ſorte que par conſequent elle eſt & douce & civile pour tous ceux qui l’aprochent : & ſans eſtre Coquette l’on ne peut pas avoir une complaiſance plus univerſelle que celle qu’elle a. Il ne paroiſt jamais qu’elle s’ennuye, avec les perſonnes qui l’importunent le plus : & elle eſt ſi fort Maiſtresse d’elle meſme, qu’elle ſe change comme il luy plaiſt : & sçait varier ſa converſation comme bon luy ſemble. Je vous laiſſe donc à penſer ce que je ſouffris ce jour là : quand Polycrate l’entretenoit, je ne pouvois l’endurer : & il me ſembloit que la joye qu’elle en avoit, la faiſoit paroiſtre plus belle. Si elle regardoit Timeſias, je croyois que c’eſtoit pour le r’engager plus fort qu’auparavant : & ſi elle ſe tournoit