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m’ont aſſuré que Theanor aime Alcidamie, ſe ſont trompez eux meſmes. Enfin, concluois-je, ou Theanor n’aime point Alcidamie, ou il en eſt aimé : & veüillent les Dieux que ce ſoit le premier. Dans cette incertitude où j’eſtois, je pris la reſolution, pour m’en eſclaircir d’entretenir cette belle Perſonne ; & de luy parler de Theanor de diverſes ſortes, pour taſcher de deſcouvrir ſes veritables ſentimens. Ainſi ſans avoir encore pû trouver les voyez de luy faire connoiſtre ma paſſion, je cherchay ſeulement celles de luy parler de mon Rival.

Je fus donc chez la Princeſſe Herſilée, où je sçeus qu’elle eſtoit. D’abord je ne pûs eſtre aupres d’elle : mais apres que diverſes perſonnes furent entrees & ſorties, je fis enfin ſi bien que je me trouvay proche d’Alcidamie : qui me reçeut ſuivant ſa couſtume avec aſſez de civilité. Peu de temps apres Polycrate arriva, ſuivy preſques de tout ce qu’il y avoit de gens de qualité à Samos : à la reſerve de Theanor, de qui la melancolie l’avoit empeſché d’y venir. Comme la converſation generale eut duré quel que temps, Polycrate qui avoit à entretenir la Princeſſe ſa Sœur en particulier, la tira vers des feneſtres qui donnent ſur la pleine Mer, & s’y appuyant l’un & l’autre, ils me laiſſerent dans la liberté d’executer mon deſſein. Il ſembla meſme qu’Alcidamie contribuaſt à le faire reüſſir : bien eſt il vray que ce fut d’une façon qui redoubla mon inquietude. Comme il y avoit peu que j’eſtois à Samos, elle n’avoit lieu de me parler raiſonnablement que de choſes generales : & comme elle avoit remarqué que Theanor eſtoit plus de mes Amis qu’aucun autre, elle devoit auſſi pluſtost m’en parler, que de ceux avec qui je n’avois nulle habitude particuliere.