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puis prenant un viſage fort ſerieux, il me dit que m’aimant comme il faiſoit, il eſtoit au deſespoir de me voir engagé en une affection, qui ne pouvoit me donner que de la peine : & que s’il luy euſt eſté permis de me nommer le Rival à qui eſtoit la Peinture que j’avois ; il m’auroit fait avoüer, que je ne devois point continuer d’aimer Alcidamie. Quand vous me l’auriez fait avoüer, luy dis-je, cela ſeroit inutile : parce que preſentement nia paſſion ne dépend plus de ma volonté : & quand ce ſeroit vous, luy dis-je tout hors de moy, qui ſeriez cét heureux Rival dont vous parlez ; & quand ce ſeroit meſme Polycrate, il faudroit que je continuaſſe d’aimer Alcidamie. Aimez donc Alcidamie, me reſpondit il en rougiſſant, mais n’eſperez pas d’en eſtre aimé ſi promptement : & ne vous perſuadez point qu’elle vous donne ſi toſt ſon Portrait : car je puis vous aſſeurer que celuy que avez, n’a pas eſté obtenu ſans peine, quoy qu’elle ne haiſt pas la Perſonne à qui elle le donna. Cruel Amy, luy dis-je, pourquoy voulez vous que j’aye autant de jalouſie que d’amour ? c’eſt reſpondit il, que je voudrois vous guerir de vôtre amour par voſtre jalouſie. Non non, luy dis-je, ce n’eſt point à ce qui l’entretient à la deſtruire : & plus vous me ferez connoiſtre qu’Alcidamie a favoriſé cét heureux Rival, plus j’auray d’envie de troubler ſa felicité, & plus je m’opiniaſtreray à aimer Alcidamie. Encore une fois, aimez Alcidamie, me dit il ; mais encore une fois auſſi ſouffrez que je vous die, que vous n’en ſerez pas aimé facilement. J’avouë que la froideur de Theanor me penſa deſesperer : car apres avoir bien raiſonné, je conclus en moy meſme que cette froideur eſtoit un effet de l’aſſurance qu’il avoit