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combien cette Fille euſt eſté eſtonnée, ſi tout d’un coup je luy euſſe montré ſa Peinture que j’avois ſur moy. En ſuitte je ſongeois combien un homme ſeroit infortuné d’aimer une auſſi belle Perſonne que celle là, de qui le cœur ſeroit deſja engage. Enfin je penſay cent mille choſes differentes en fort peu de temps : & l’on peut preſques dire, que la jalouſie quia accouſtumé de ſuivre l’amour, dans l’ame de tous ceux qui en ſont capables, la preceda dans la mienne : eſtant certain du moins que je fis tout ce que les jaloux ont accouſtumé de faire, auparavant que j’euſſe donné nul teſmoignage d’amour par aucune autre voye. Je m’informay adroitement, qui eſtoient les Amants d’Alcidamie : eſperant par là venir à la connoiſſance de celuy à qui apartenoit le Portrait. Mais ceux à qui je le demanday, me dirent qu’il n’y avoit pas un homme de qualité dans Samos qui ne l’euſt aimée : de ſorte que mes conjectures ne trouvant point où s’apuyer, mais, leur dis-je, n’en a t’elle choiſi aucun ? C’eſt ce qui n’eſt pas aiſé à deſcouvrir, me repliquerent ils ? car Alcidamie a un eſprit adroit, capable de bien déguiſer ſes ſentimens ſi elle veut : & tout ce que nous vous en pouvons dire, c’eſt que ſi elle a quelque Amant favoriſé, il faut qu’il ſoit auſſi diſcret qu’elle eſt habile, puis qu’il eſt certain qu’il n’y en a aucun bruit dans la Cour. Deux ou trois jours ſe paſſerent de cette ſorte, pendant leſquels je voyois touſjours Alcidamie, ou chez ſe Princeſſe, ou au Temple, ou à la promenade, ou chez elle : car je forçay Theanor à m’y mener. Je dis que je l’y forçay, eſtant certain qu’il s’en excuſa autant qu’il pût : Cependant je le conjurois continuellement d’apprendre, s’il y avoit moyen, à qui apartenoit