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riant à demy) qui me fait craindre que vous ne puiſſiez vous empeſcher de le montrer à quel qu’un. Pour n’en parler pas, luy dis-je, & pour ne le montrer point, je vous le promets : mais pour la Peinture je ne la rendray qu’à celuy qui l’a perduë : encore ne ſera-ce pas ſans peine, parce qu’elle me plaiſt infiniment. Theanor fit encore tout ce qu’il pût, pour ne me rendre point ce Portrait : mais je m’opiniaſtray de telle ſorte à vouloir qu’il me le rendiſt, qu’il fut contraint de le faire : en ſuitte de quoy nous fuſmes enſemble au lever de Polycrate, & de là au Temple avequez luy.

L’apres-diſnée ce Prince eut la bonté de me preſenter à la Princeſſe Herſilée ſa Sœur, qui eſt une Perſonne fort acconplie, chez laquelle il y avoit alors beaucoup de Dames : & entre les autres, une Perſonne appellée Meneclide, dont l’on diſoit que Polycrate eſtoit amoureux. J’y vy de plus, la merveilleuſe Alcidamie : mais ſi belle, que je n’ay jamais rien veû de ſi aimable. La Princeſſe Herſilée qui voulut me traitter en nouveau Favory du Prince ſon Frere, me fit mettre aupres de cette belle Perſonne : de qui l’eſprit ſeconda ſi puiſſamment les charmes de ſa beauté, que je ne pus conſerver ma franchiſe. Theanor entrant dans la Compagnie, & me voyant aupres d’Alcidamie, comme je viens de le dire, m’en parut un peu interdit : neantmoins je ne fis pas alors une grande reflexion là deſſus : car j’avois l’eſprit ſi inquiet, qu’Alcidamie ſans doute n’eut pas lieu de trouver ma converſation fort agreable. Quel eſt (difois-je en moy meſme, en regardant tous les hommes qui avoient ſuivy Polycrate chez la Princeſſe ſa Sœur) cét heureux & malheureux Amant, qui a perdu le Portrait que j’ay trouvé ? Apres je venois à penſer