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conduit dans la Ville l’eau d’une des plus belles & des plus abondantes fontaines du monde. Apres avoir bien admiré le prodigieux travail d’Eupaline (car l’Entrepreneur de cét Aqueduc qui eſtoit de Megare ſe nommoit ainſi) nous rentraſmes dans la Ville, pour aller nous promener ſur une levée, haute de vingt toiſes, & longue de deux ſtades & davantage, qui s’avance du Port dans la Mer, & qui eſt bordée des deux coſtez, de deux Baluſtrades de cuivre de Corinthe à hauteur d’appuy : ce qui fait le plus bel objet du monde, quand on aborde à Samos. Comme nous n’eſtions qu’au commencement de l’Automne, & que la Saiſon eſtoit encore fort belle grand nombre de Dames vinrent s’y promener vers le ſoir, ſuivant la couſtume du païs ; il y en vint meſme plus qu’à l’ordinaire : car comme nous avions pris quatre Galeres aux Ennemis, c’eſtoit faire honneur à Polycrate, que de teſmoigner quelque curioſité de voir les marques de ſa victoire. Tout ce qu’il y avoit preſques de Dames à Samos, ſe vinrent donc promener où nous eſtions : & tout ce qu’il avoit d’hommes de condition, & de ceux qui venoient d’arriver, & de ceux qui n’avoient pas eſté au voyage, y vinrent auſſi. Le Prince Polycrate voulut meſme y faire un tour ou deux : & certes je n’ay jamais rien veû de plus beau, que le fut cette promenade. La Mer eſtoit fort tranquile : & quoy que le Soleil fuſt couché, il y avoit pourtant encore aſſez de jour quand nous y arrivaſmes Theanor & moy ; pour pouvoir diſcerner la beauté de toutes les Dames. Comme je n’en connoiſſois encore aucune, je les regardois toutes indifferemment : & je me divertiſſois à voir les unes s’appuyer ſur cette ſuperbe Baluſtrade, &