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à toutes les heures où la bien-ſeance le permettoit. Je la vy donc ſouffrir avec une patience admirable : & ne teſmoigner avoir autre regret à la vie, que celuy de m’abandonner. Elle me cachoit meſme une partie de ſon mal, de peur de m’affliger trop : & quoy qu’elle creuſt touſjours mourir dés le premier moment qu’elle tomba malade, elle ne me parla de ſa mort, que le dernier jour de ſa vie. Mais ô jour funeſte & malheureux, que vous fuſtes long & terrible pour moy ! Je la vy donc ſouffrir preſques ſans ſe pleindre : & je reçeus de ſa belle bouche cent aſſurances d’une affection toute pure & toute innocente. Elle me demanda la continuation de la mienne apres ſa mort ; & apres avoir invoqué les Dieux, elle me parla autant qu’elle le pût ; m’ordonnant de leur part & de la ſienne, de me conformer à leur volonté. Elle me regarda encore quand elle ne pût plus parler ; & ayant meſme perdu la veuë, elle tendit encore la main du coſté qu’elle m’entendoit pleindre : & luy donnant la mienne tout deſesperé, elle la ſerra foiblement ; puis un moment apres la laiſſant aller ; & faiſant un grand ſoupir, elle expira, ſans avoir meſme perdu ſa beauté, ny fait une action indecente. Ne me demandez point, ô mon equitable Juge ce que je ſentis, & ce que je devins : vous eſtant aiſé de vous imaginer qu’un homme qui l’avoit tant regrettée lors qu’il n’en eſtoit point aimé : qui l’avoit meſme tant pleurée, lors qu’il la penſoit haïr : ſe deſespera lors qu’il la vit mourir de ſes propres yeux, en un temps où il en eſtoit aimé, & tout preſt de la poſſeder. Auſſi en fus-je touché à tel point, que ſans Polimnis je me ſerois ſans doute tué dans les premiers momens de ma douleur : mais il prit un ſoing de moy ſi grand, que je puis preſques l’appeller la cauſe