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s’eſtoit offencée de mon amour, lors que je l’en avois entretenuë. Si bien que pour m’en corriger, & pour m’en punir tout enſemble, elle traita encore Antigene plus civilement qu’à l’ordinaire. Enfin la choſe en alla au point, que comme Leontine sçavoit bien qu’elle n’aimoit pas Antigene : elle croyoit que le monde ne le croiroit pas ; & ne ſe ſoucioit point pour ſe vanger de moy, de le traitter plus favorablement, qu’elle n’avoit jamais traitté perſonne. Mais comme on ne liſoit pas dans ſon cœur, on creut qu’elle preferoit Antigene à tous ſes autres Amants : & tous les Amis que j’avois faits à Thebes venoient m’en conſoler ; de ſorte que j’en conçeus une douleur meſlée de deſpit, qui me fit reſoudre à vaincre ma paſſion. Je la combattis donc, & je la vainquis, ou du moins je creus que je j’avois vaincuë, car je ne pouvois plus voir Leontine ſans colere : je la fuyois avec ſoing ; & effectivement je penſe que je la haïſſois, & que je paſſay d’une extremité à l’autre. Je priay donc Polimnis que nous allaſſions à la chaſſe durant quelque temps, à une belle Terre qu’avoit ſon Pere a cent ſtades de Thebes, au delà du mont Helicon. Nous y fuſmes donc, & mon ame eſtoit, ce me ſemble, aſſez tranquile, & aſſez deſtachée de Leontine : lors qu’il arriva un des Amis de Polimnis, un jour que nous eſtions en feſtin & en joye, avec diverſes perſonnes de qualité du voiſinage. J’avois meſme ce jour là, injuſte que j’eſtois, raillé deux ou trois fois de la complaiſance de Leontine pour Antigene ; ſans avoir, ce me ſembloit, ſenti dans mon cœur d’autre ſentiment que le plaiſir d’avoir dit une choſe malicieuſe, contre une perſonne que je haïſſois, ou que je penſois haïr. Apres donc que cét