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voicy le corps de Leontine que l’on raporte ! En diſant cela cette funeſte idée s’empara ſi fort de mon eſprit, que mon ame ſe trouva trop foible pour pouvoir ſuporter une ſi grande douleur. Je voulus pourtant pouſſer mon cheval vers ce Chariot, qui s’approchoit touſjours : mais ne sçachant ce que je faiſois, & perdant abſolument la raiſon, je reculois au lieu d’avancer. Polimnis s’eſtant aproché de moy m’a dit depuis qu’il me vit le viſage tout changé : les yeux égarez : & que luy tendant la main, je luy dis en paroles peu diſtinctes ; du moins Polimnis je la verray morte : & qu’apres cela il vit que j’abandonnois la bride de mon cheval : & que s’il ne m’euſt ſoustenu je fuſſe tombé. Il me prit donc par le bras ; & un de mes gens qui m’avoit ſuivi luy ayant aidé, il me mit à terre fort doucement à deux pas du chemin, où je demeuray éuanoüi. Polimnis ſe trouva alors bien embarraſſé, de voir ſon Amy mourant, & de voir arriver ſa Parente morte : mais comme il eſtoit fort occupé aupres de moy, & que ce Chariot commença d’approcher ; il fut eſtrangement ſurpris d’y en tendre rire des Femmes, dont il y en avoit meſme une qui chantoit. Il ſe leva donc pour regarder ce que ce pouvoit eſtre : & il vit Leontine à la portiere du Chariot, qui l’ayant reconnu le fit arreſter, pour luy demander ce qu’il faiſoit là ? mais ayant en meſme temps jetté les yeux ſur moy, Bons Dieux, dit elle, Polimnis, n’eſt-ce pas le Prince Artibie que je voy ? Ouy, luy repliqua t’il, c’eſt luy meſme, & qui a grand beſoin de ſecours : Mais, luy dit il, comment eſtes vous reſſuscitée, vous que l’on croit morte à Thebes ? Il n’eſt pas temps de vous le dire, repliqua t’elle ; & il vaut mieux aſſister voſtre