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encore plus infortuné que je n’eſtois. Ha injuſte Amy, luy dis-je, vous ne sçavez pas aimer ! Quoy, pourſuivis-je, vous croyez qu’il fuſt poſſible que je fuſſe plus affligé que je ne ſuis ! Non non, luy dis-je encore une fois, vous ne sçavez ce que c’eſt qu’amour. Helas (diſois-je encore, ſans plus ſonger que Polimnis eſtoit la) Leontine n’eſt plus ! Leontine la plus belle choſe du monde a peri miſerablement ! elle ne m’aimoit pas, il eſt vray : mais elle m’auroit peut-eſtre aimé. Et puis, quand elle ne l’auroit pas fait, & que je pourrois en eſtre aſſeuré preſentement, devrois-je ceſſer de la pleindre ; & ne ſuffit il pas que je l’aimois, pour la regretter eternellement ? Non non, (pourſuivois-je en me retournant vers Polimnis) il ne faut pas d’autre raiſon, pour vous prouver que je dois eſtre inconſolable : j’aimois Leontine, & je l’ay perduë : que faut il davantage pour ſe deſesperer ? Nous ne regrettons gueres ceux qui nous aiment, quand nous ne les aimons pas : & nous ne laiſſons pas de regretter ceux que nous aimons, encore qu’ils ne nous aiment point. Pleurons donc, pleurons eternellement l’incomparable Leontine. Comme j’en eſtois là, je vis que Polimnis ſans m’eſcouter s’arreſtoit, & jettoit les yeux dans une grande plaine où nous eſtions : car la Beoce eſt un païs extremement plat & fort deſcouvert. Je m’arreſtay donc comme luy ; & regardant du meſme coſté, je vy paroiſtre un Chariot, qui eſtoit eſcorté par quelques hommes à cheval. Apres que Polimnis & moy euſmes regardé quelque temps, pendant quoy ce Chariot approchoit touſjours : nous le reconnuſmes pour eſtre celuy de la belle Perſonne dont je regrettois la perte. Ha Polimnis, luy dis-je tout hors de moy,