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afin qu’elle euſt plus d’air, & qu’ils peuſſent mieux l’aſſister. De vous dire comment Leontine à demy morte, fit naiſtre une paſſion immortelle dans mon cœur, ce me ſeroit une choſe impoſſible : & il ſuffit, ô mon equitable Juge, que vous sçachiez que j’aimay Leontine toute mourante qu’elle eſtoit : & que la compaſſion attendrit tellement mon cœur, que l’Amour le bleſſa ſans reſistance. Depuis cela, je fus plus ſoigneux que Polimnis, d’envoyer sçavoir de ſes nouvelles ; & meſme plus ſoigneux que tous ſes anciens Amants.

Cependant il plût aux Dieux de la redonner à la Terre : elle veſcut, elle guerit, & revint en ſanté parfaite : mais ſi belle, ſi charmante, & ſi merveilleuſe en toutes choſes, que je m’eſtimay heureux d’eſtre ſon eſclave. Polimnis me mena chez elle, dés qu’elle fut en eſtat d’eſtre veuë ; j’en fus reçeu avec beaucoup de civilité : & je trouvay des graces dans ſon eſprit qui n’euſſent pas eu meſme beſoin de celles de ſa beauté pour captiver le mien, s’il peuſt pas deſja eſté à elle. Je ne vous diray point, ſuivant ce que je me ſuis propoſé, que je fis toutes les choſes qu’une amour naiſſante a accouſtumé de produire : & que je fis tout ce que je pûs pour luy plaire, pour la divertir, & pour en eſtre eſtimé. Mais je vous diray ſeulement, qu’encore que je ne reüſisse pas trop mal en ces trois choſes : je fus pourtant tres long temps, ſans recevoir nulles marques de complaiſance pour la paſſion que l’avois dans j’ame. Leontine eſtoit tres civile : mais comme elle l’eſtoit pour tout le monde, mon amour n’eſtoit gueres ſatisfaite. Neantmoins, quoy que je creuſſe fortement, qu’elle ne m’aimoit point du tout, je ne laiſſois pas de l’aimer infiniment ; & en effet je m’en aperçeus quelque temps apres ſa gueriſon :