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alloit querir une de ſes Amies qu’elle avoit demandée, auparavant qu’elle perdiſt la parole. Polimnis qui eſtoit parent de cette Perſonne, & qui l’aimoit fort, me demanda la permiſſion d’entrer chez elle : mais bien loin de la luy refuſer, je luy dis que j’irois auſſi. En effet nous entraſmes dans cette Maiſon, où il n’y avoit plus aucune ceremonie à obſerver, tant le mal de Leontine y cauſoit de deſordre. Toutes les portes eſtoient ouvertes : tous les Domeſtiques eſtoient en larmes : diverſes chambres où nous entraſmes eſtoient pleines de monde : & apres avoir traverſé pluſieurs Apartemens, où nous trouvions touſjours des perſonnes affligées, nous arrivaſmes enfin à ſon Antichambre. Mais Polimnis n’y ayant point encore trouvé de gens qui puſſent luy dire bien preciſément en quel eſtat eſtoit ſa Parente : il m’y laiſſa, & entra dans ſa chambre, dont la porte eſtoit ouverte, & qu’il vit toute pleine de gens qui n’y devoient pas pluſtost entrer que luy : car dans la douleur que le mal de Leontine cauſoit, tout eſtoit en confuſion. Apres l’avoir veû entrer, je ne sçay par quel ſentiment je fus pouſſé : mais je sçay bien que ſans en avoir l’intention, je m’approchay de cette porte ; & que voyant encore entrer d’autres gens, j’entray comme eux ; & me meſlant parmi la preſſe, je vy d’abord un grand Pavillon de Drap d’or, retrouſſé tout à l’entour : & ſur un lict qui eſtoit deſſous, l’incomparable Leontine evanouïe. Mais Dieux que cét Objet me ſurprit & me toucha ! & que la veuë d’une ſi grande beauté en un ſi pitoyable eſtat, cauſa de trouble en mon ame ! Elle eſtoit couchée negligeamment ſur le coſté ; la teſte un peu renverſée ; ſes cheveux à demi dénoüez ; la gorge un peu deſcouverte ; le bras droit pendant hors