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voit mort dans le cœur de ce qu’il aime, ne joüit d’aucun repos ; car eſtant perſuadé pour ſon malheur, qu’il n’eſt pas abſolument impoſſible qu’il n’arrive quelque changement en ſes affaires : il forme cent deſſeins differens, qui ne reüſſissant point du tout, le deſesperent tous les jours. Il eſpere autant qu’il faut pour eſtre inquiet, & non pas pour eſtre conſolé. Ainſi faiſant tout ce que les autres ont accouſtumé de faire pour eſtre aimez, il le fait pourtant inutilement. Plus il aime plus on le meſprise ; & ſans pouvoir guerir, & ſans meſme le pouvoir deſirer, il endure un mal incroyable. La jalouſie eſt encore un poiſon bien dangereux ; mais il n’a pourtant pas toute ſa malignité dans le cœur d’un Amant qui a crû quelquefois eſtre aimé. Et ſi la jalouſie peut tenir rang parmi les grands maux, c’eſt ſans doute lors que celuy qui eſt jaloux eſt perſuadé, que la perſonne qu’il aime n’a jamais eu de ſentimens avantageux pour luy. Cependant tout rigoureux qu’eſt ce ſuplice, il n’aproche point encore de celuy que je ſens : Car enfin je ſuis perſuadé, que ſi j’avois crû ſeulement un jour avoir eſté aimé de Philiſte : le ſentiment de cét heureux jour, adouciroit tous mes maux, & fortifieroit mon eſperance pour toute ma vie. Un homme jaloux peut meſme touſjours s’imaginer, que peut-eſtre ce qu’il penſe n’eſt pas : car cette paſſion pour l’ordinaire, n’inſpire que des ſentimens incertains & mal affermis. Mais quand par une longue experience, on sçait de certitude qu’il y a une averſion invincible, dans le cœur de la perſonne que l’on aime : que reſte t’il à faire qu’à deſirer la mort ? Car enfin les ſoins, les ſervices, les ſoupirs, les larmes, & toutes les autres choſes que font les Amants les plus fidelles,