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Quoy qu’il en ſoit, luy dis-je, Antigene ne profitera point de ma diſgrace : Mais puis que je ne puis eſtre à vous, reprit elle, que vous importe à qui je ſois ? Que m’importe ! luy dis-je, Madame ; Ha, que vous connoiſſez mal la paſſion qui me poſſede ! de croire qu’il n’y ait aucune difference entre un Rival aimé, & un autre qui ne l’eſt pas. Je sçay bien, pourſuivis-je, que perdre la poſſession de ce que l’on aime, eſt un mal fort grand : mais en voir joür un Rival, & un Rival aimé, en eſt un incomparablement plus terrible. Ainſi ne penſez pas que je puiſſe jamais changer de ſentimens : donnez moy du moins quelques jours, dit elle, à raiſonner ſur une propoſition ſi bizarre : je vous les accorde Madame (luy dis-je en ſouspirant) puis revenant tout d’un coup de mon tranſport ; & veüillent les Dieux, pourſuivis-je, que pendant ce temps là vous puiſſiez changer de ſentimens pour moy.

Ce fut de cette ſorte que je quittay Philiſte, que je laiſſay dans une inquietude extréme : car elle voyoit que je luy avois donné un moyen de ſe delivrer de mes importunitez : mais pour l’accepter, il faloit quitter Antigene, qu’elle ne haïſſoit pas. D’autre part, elle craignoit que ſi elle s’obſtinoit davantage là deſſus, il n’arrivaſt de deux choſes l’une : ou que ſon Pere la forçaſt à m’eſpouser, comme il y avoit grande aparence qu’il feroit : ou que je ne tuaſſe Antigene. De mon coſté, je n’eſtois pas moins en peine qu’elle : car je voyois Philiſte ſi malade, ſi changée, & ſi melancolique ; que je craignois d’eſtre enfin cauſe de ſa mort. De plus, j’imaginois quelque choſe de ſi faſcheux, à violenter ſes inclinations, en l’eſpousant malgré qu’elle en euſt, par l’authorité de ſon Pere, que je ne m’y pouvois reſoudre. Quelques fois un