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bien malheureux, puis que je ne puis vivre ſans vous, & que vous ne pouvez vivre aveque moy. Je comprens pourtant beaucoup mieux ; luy dis-je encore, par quelle cauſe je vous aime, que je ne comprens par quelle cauſe vous ne pouvez ſouffrir ma paſſion : ne cherchez ni raiſon ni excuſe à ce que je fais, dit elle, car je n’y en cherche pas moy meſme. Peut eſtre, luy dis-je, que le temps & mes ſervices vous changeront : non Philocles, repliqua t’elle, ne vous y trompez pas : juſques icy j’ay conſervé encore quelque bien-ſeance : j’ay inventé des pretextes pour differer le mariage que mon Pere a reſolu de faire de vous & de moy : j’ay faint d’eſtre malade ; & je la ſuis devenuë en effet : Mais apres tout, s’il ne change, & ſi vous ne changez, je me reſous à luy deſobeïr ouvertement : & par conſequent à eſtre blaſmée de tout le monde : cependant je ne sçaurois faire autre choſe. Quoy Madame, luy dis-je, vous eſtes abſolument déterminée de vous oppoſer à mon bonheur ? n’appellez point ainſi, dit elle, un Mariage qui vous ſeroit deſavantageux auſſi bien qu’à moy : car quelle douceur trouveriez vous à me voir dans une melancolie continuelle, & à recevoir cent marques d’indifference ? Non Philocles, vous ne ſeriez point heureux : & ſi vous eſtiez ſage, vous en uſeriez autrement. Je ſuis meſme aſſez genereuſe, dit elle, pour ne vouloir pas punir cruellement, un homme qui m’aime comme vous m’aimes ; & voſtre intereſt ne ſe trouve pas moins que le mien en cette rencontre. Je sçay bien adjouſta t’elle, que je ne vous eſpouseray jamais, quand toute la Terre entreprendroit de m’y faire conſentir : Mais je sçay bien auſſi, qu’aimant la gloire comme je l’aime, je vous aurois